LES VERTUS DE l’échec
LES VERTUS DE l’échec Le podcast d’Elizabeth Day, How To Fail (“Éloge de l’échec”), a cumulé cinq millions d’auditeurs. Comment expliquer un tel succès et quels enseignements en tirer ? L e concept d’échec a bien changé. Autrefois considéré comme un insupportable affront, l’“échec” a acquis ses lettres de noblesse ces dernières années. On nous invite même tous à échouer rapidement, dans l’optique de rebondir et d’aller de l’avant. Petits et grands malheurs exposés sans complexes sur les réseaux sociaux, start-ups de la Silicon Valley qui ferment boutique à peine lancées… L’échec est plus que jamais dans l’air du temps. Elizabeth Day se place au cœur du débat. “Connaître mon plus grand succès grâce à mon travail sur l’échec, c’est le comble de l’ironie”, me fait remarquer Elizabeth, qui est une amie de longue date. “Mais quand j’ai compris que parler franchement de mes failles et faiblesses en motivant les autres à faire de même trouvait un écho chez les gens, je l’ai pris comme un véritable cadeau.” Elizabeth Day a toujours fait partie des personnes les plus brillantes que je connaisse. Outre les trois romans à son actif, Elizabeth a interviewé des célébrités mondiales dans le cadre de son podcast How To Fail : Andy McNab, romancier et ancien membre des SAS (forces spéciales britanniques) ou encore la très créative Phoebe Waller-Bridge, actrice et scénariste. Fine psychologue, elle pose à ses invités des questions pertinentes, levant délicatement le voile sur leur vécu émotionnel et les leçons qu’ils en ont tirées. Mais derrière le succès extérieur d’Elizabeth Day se cachent ses propres difficultés. “Je crois que les femmes sont tout particulièrement incitées à se donner une contenance pour affronter le monde”, me confie-t-elle. “Dans ce monde où la perfection est mise en scène, notre valeur se mesure à l’aune de notre dernière publication sur Instagram. Bien sûr, nous savons que c’est une vision parcellaire de la réalité, mais c’est très dur de se conformer aux canons que nous avons définis.” Diplômée d’Oxford et rompue à l’excellence, Elizabeth Day a fini par connaître l’échec – ce qui l’a amenée, en 2018, à lancer ce podcast. “Vers la trentaine, quand j’ai essayé sans succès d’avoir des enfants après deux FIV et une fausse couche à trois mois de grossesse, j’ai été confrontée pour la première fois à l’échec : c’était la première fois que je n’atteignais pas un objectif que je m’étais fixé”, raconte-t-elle. Son mari et elle ont divorcé peu après. Et alors qu’elle était tombée amoureuse d’un autre homme, ce dernier l’a quittée contre toute attente. “C’était trois semaines avant mes 39 ans”, se rappelle-t-elle. “C’est arrivé brutalement, sans prévenir.” Elle traverse alors une période difficile qui l’amène à faire le point sur sa vie. Elle a parfaitement conscience de la banalité de son histoire par rapport aux tragédies que peuvent vivre d’autres personnes : “L’échec relève de l’intime”, explique-t-elle. “Nous avons tous des exigences qui nous sont propres, envers nous-mêmes et la vie que nous pensons devoir mener.” Elizabeth Day est convaincue que nos échecs nous en apprennent beaucoup plus sur nous-mêmes que les succès. “Je ne dis pas qu’il faut échouer de telle ou telle manière ni qu’il y a une bonne façon d’échouer”, souligne-t-elle. “Lorsque vous subissez une épreuve, il convient d’accueillir sa peine en s’accordant le temps nécessaire pour l’accepter. Je ne voue en aucun cas un culte à l’échec. Je dis seulement qu’il n’épargne personne. J’ai choisi de voir l’échec comme un signe du destin qui nous pousse à changer de voie ou à tirer un enseignement de ce que l’on a vécu. Comprendre que l’échec ne faisait pas de moi une ratée m’a beaucoup aidé et permis d’avancer dans la vie.” C’est suite à cette rupture traumatisante que lui est venue l’idée de How To Fail. “Je n’écoutais pas de chansons pendant cette période difficile, car elles m’enfonçaient dans la Article Lotte Jeffs Illustration Joël Penkman 53